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Il était une fois en Yougoslavie (1/2)

Il était une fois en Yougoslavie (1/2)

YOUGOSLAVIE : ANNEES 80

4 mai 1980, Josip Broz Tito s’éteint à Ljubljana, capitale de la République Socialiste de Slovénie en Yougoslavie. 1er juin 1980, Laibach, collectif multimédia, voit le jour à Trbovlje, ville minière à l’est de la capitale et haut lieu de la résistance slovène durant la seconde guerre mondiale. Ces deux évènements bouleverseront profondément le paysage politique et artistique yougoslave pour les décennies à venir.

LAIBACH

Laibach est le nom allemand de Ljubljana que la cité slovène revêtira à plusieurs reprises au cours de l’Histoire. Ljubljana s’impose comme un confluent de culture slave, latine, balkanique et germanique.

Dès sa formation, Laibach fonctionne comme une entité collective derrière laquelle les individus s’effacent. Ils font rapidement de leur emblème la croix noire de Kasimir Malevitch, emblème suprématiste par excellence. Une forme audacieuse par sa neutralité et sa charge symbolique entourée d’une roue mécanique crantée qui impose déjà le concept « rétro-avant-gardiste » de Laibach. Les sonorités bruitistes, industrielles et martiales du collectif — qui ne sont pas sans rappeler Throbbing Gristle, Test Dept ou Kraftwerk —, les affiches, collages et graphismes qu’ils placardent dans les rues de Trbovlje se réfèrent au travail prolétaire des usines de la ville, au machinisme, au réveil et à la manipulation des masses. Leur premier concert est interdit par le régime et leur Art total – Gesamtkunstwerk – sera longtemps perçu comme une provocation dans la Yougoslavie communiste, en même temps qu’il obtient un succès immédiat auprès des milieux intellectuels et des scènes alternatives à l’étranger.

Laibach devant la Moderna Galerija de Ljubljana. Credits photos : NSK

Yougoslavie, terre d’artistes

Dès les années 60 et 70, la Yougoslavie est déjà la mère patrie de nombreux artistes d’une contre-culture contestataire tels que Marina Abaramović, Sanja Ivekovič, Raša Todosijević ou Dušan Makavejev — ce dernier sera contraint à l’exil après la censure de son cinéma dans son pays — pour n’en citer que quelques-uns. Raša Todosijević, l'artiste belgradois, aura une influence particulière pour les artistes du Neue Slowenische Kunst. Sa performance la plus célèbre, « Was ist Kunst ? », réalisée entre 1976 et 1981, met en scène le visage sans émotion d'un homme ou d'une femme, malmené par la main du peintre pendant que celui-ci hurle sans discontinuer : « Was ist Kunst ? » - « Qu'est ce que l'Art ! » en allemand. Cette performance percutante, agressive et sans concession met en lumière les rapports de domination sociale, la volonté autoritaire de modeler « l'autre ». Cette filiation artistique entre Todosijević et le Neue Slowenische Kunst mériterait, d'ailleurs un article de blog à lui tout seul. 
À l’orée de la décennie suivante, la Novi Val déferle sur la Yougoslavie qui, de par son non-alignement, reste néanmoins un pays ouvert à la culture occidentale.

En 1983, cinq plasticiens de Ljubljana fondent le collectif IRWIN. Ils débutent l’année suivante, la réalisation de « Was ist Kunst», impressionnante série de tableaux conçus comme des ready-made, inspirés par Laibach, où coexistent, dans le même espace de la toile, peinture, collage et objets communs issus de l’impressionnisme et du folklore rupestre slovène, ainsi que des références antagonistes à la religion, au dadaïsme, au suprématisme, au réalisme socialiste et aux symboles des regimes totalitaires.

IRWIN Was is Kunst

Installation Was is Kunst? à Istanbul, 2006 - Credits photos : IRWIN

L’année suivante, Scipion Našiče Sisters Theatre (plus tard Red Pilot puis Cosmokinetic Kabinet Noordung), troupe de théâtre contemporain slovène, rejoint Laibach et IRWIN. Ils fondent ensemble un mouvement basé sur la « rétro-avant-garde », une forme artistique postmoderne collective et subversive récapitulant les traumatismes du passé et les références populaires pour appréhender l’avenir.

Le Neue Slowenische Kunst est né

Leurs inspirations ? Les avant-gardes du XXe siècle, Kasimir Malevitch et le suprématisme, le constructivisme russe, Marcel Duchamp et le ready-made, Kandinsky et l’abstraction, John Heartfield et le dadaïsme, l’art brut, le Pop Art, Joseph Beuys, Guy Debord et l’Internationale Situationniste, l'art politique, les figures totalitaires, la pop culture occidentale, le disco, le monde ouvrier, l’industrialisation, le sacré, Jacques Tati, Jean-Luc Godard, Berthold Brecht, Gilles Deleuze et Felix Guattari, Alain Badiou, Slavoj Žižek, « Tito, Toto, Tati et Tutu »...

De cet élan créatif d’Art total émane de nouveaux collectifs dédiés au graphisme (Novi Kolectivizem), à la vidéo (Retrovision), à la philosophie (Department for pure and apllied Philosophy), à l’architecture (Builders), au cinéma et à de nouveaux projets musicaux...

Organigramme du Neue Slowenische Kunst. Crédit photo : NSK State

Les années 80 sont fructueuses pour le NSK où s’entremêlent ébullition artistique, provocation envers l’Etat, happenings controversés et reconnaissance à l’échelle européenne. Le désordre laissait par la mort du Maréchal Tito réveille les velléités nationalistes des fédérations yougoslaves et le NSK joue le rôle de Cassandre dans une nation sur le bord d’imploser…

La suite dans quelques jours !

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